Caméras et vie privée : une locataire dénonce la surveillance exercée par sa propriétaire

La caméra extérieure filme l’entrée de l’immeuble et le balcon de Mme Dugas. (Photo: gracieuseté)
Stéphanie Dugas habite son logement de la rue Villeneuve, un grand 5 ½ qu’elle habite depuis bientôt dix ans. La Longueuilloise affirme n’avoir jamais eu de problème avec sa propriétaire jusqu’à l’installation de caméras, qui enregistrent des conversations et scènes de son quotidien.
Selon la locataire, la caméra extérieure a été installée en 2019, et celle à l’intérieur en direction de la porte d’entrée de l’immeuble en juillet 2023. «La caméra extérieure donne directement sur mon balcon et la caméra intérieure épie tous nos allées et venues», dénonce Mme Dugas.
Conversations enregistrées
Le 19 janvier 2024, Mme Dugas reçoit de la part de l’avocate de sa propriétaire une vidéo. C’est le choc. «On voit et entends mes enfants qui font des crises, qui pleurent ou nous qui les chicanent.»
Sur d’autres extraits vidéo, des conversations de routine sont captées, ce qui constitue une atteinte à sa vie privée, pense Mme Dugas. «On m’entend par exemple dire à mon conjoint de commencer à préparer les enfants pour la nuit. Quelle autre conversation a-t-elle enregistré de nous?»
Si elle avoue avoir élevé la voix à l’occasion contre ses enfants en raison d’une grossesse difficile et de la prise d’antidépresseurs, M. Dugas reproche à sa propriétaire d’enregistrer continuellement ce qui se passe chez elle et de ne choisir que les extraits qui lui conviennent, pour les présenter au Tribunal administratif du logement (voir plus bas). «J’ai tenté de lui expliquer la situation, mais elle n’a rien voulu comprendre», indique Mme Dugas.
Selon Mme Dugas, la caméra installée au-dessus de la porte voisine de son logement entend ce qui se passe chez elle. (Photo: gracieuseté)
«Une autre fois, ma propriétaire m’a appelée pour me dire que mon conjoint et une locataire ne devaient plus se parler. Elle m’a dit : «je ne veux plus que vous vous parliez. Vos conversations de vie privée, ça ne regarde pas les voisins. Je les entends toutes dans ma caméra!» Est-ce qu’elle nous regarde et nous écoute continuellement?» se demande Mme Dugas.
Enjeu de vie privée
Pour Stéphane Moreau, organisateur communautaire au Comité logement Rive-Sud, le cas de Mme Dugas soulève plusieurs questions, notamment concernant sa vie privée. Il rappelle qu’en vertu du Code civil, tout le monde a le droit de protéger sa réputation et, par conséquent, son image.
«Lorsqu’il est question de caméra de sécurité, il est donc nécessaire de ne pas enfreindre le droit à la personnalité des autres individus», soutient M. Moreau.
«L’article 35 du Code civil réaffirme la protection à sa réputation et, surtout, à sa vie privée. Il est même précisé qu’il est nécessaire de demander le consentement de la personne afin «d’enfreindre» son droit à la vie privée.»
M. Moreau fait aussi référence à l’article 36 qui spécifie, entre autres, qu’il peut être considéré comme des atteintes à la vie privée d’une personne le fait de pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit, intercepter ou utiliser volontairement une communication privée ou capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés.
«En d’autres termes, précise l’organisateur communautaire, une caméra ne peut pas enregistrer l’image ou la voix d’une personne dans un lieu privé sans que celle-ci ait accepté préalablement. Et même si les gens apprécient la sécurité offerte par la surveillance vidéo, ils ne veulent pas se sentir observés chez eux.»
En d’autres mots, lorsque la surveillance vidéo est utilisée, les besoins en matière de sécurité doivent être comblés dans le respect des exigences relatives à la protection de la vie privée
Plusieurs plaintes
Propriétaire de l’immeuble depuis 2010, Estel Grimard n’avait pas de commentaires à exprimer au Courrier du Sud, si ce n’est d’indiquer que deux locataires ont déjà quitté cet immeuble et quatre autre autres menacent de le faire si les choses ne changent pas.
Mise en demeure et nombreux reproches
En plus de ce différend à propos des caméras, une mise en demeure a été envoyée Mme Dugas le 7 août 2023.
Huit choses lui sont reprochées dont, entre autres, d’utiliser le terrain de l’immeuble comme bon lui semble en y plaçant des jeux gonflables et une piscine amovible, de fumer du cannabis à l’intérieur de l’immeuble malgré l’interdiction incluse au bail, de laisser ses enfants courir partout dans l’immeuble et d’adopter un ton ou de proférer des paroles dénigrantes, insultantes ou agressives envers les autres locataires de l’immeuble.
On lui demande donc de cesser tout type de vacarme ou bruits excessifs, de ne pas accaparer le terrain de l’immeuble régulièrement, d’adopter un comportement courtois envers les autres locataires et de fumer de cannabis à l’intérieur des limites de l’immeuble, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
«Si vous faites défaut de vous conformer intégralement au contenu de la présente mise en demeure, nous vous avisons que nous nous adresserons au Tribunal administratif du logement pour demander la résiliation de votre bail de logement, sans autre avis ni délai», est-il ajouté.
Réaction
La réaction de Mme Dugas à cette mise en demeure ne s’est pas fait attendre. «Je veux bien ne pas mettre de piscine, mais mes enfants ont bien le droit de jouer à l’extérieur, tout comme ceux des voisins», indique-t-elle.
Mme Dugas ajoute que son mari est allé fumer à une occasion du cannabis à usage thérapeutique sur le balcon. «Mais depuis la réception de la mise en demeure, il fume toujours sur le trottoir», insiste-t-elle.
«La propriétaire se plaint également que mes enfants font trembler l’escalier quand ils entrent et sortent de l’immeuble. Voir si mes enfants font trembler l’escalier!»
Nouvel avis
Le 29 avril dernier, Mme Dugas reçoit ce nouvel avis de sa propriétaire : «Pour donner suite à des plaintes des autres locataires, la présente est pour vous aviser de la fin des privilèges qui vous ont été accordés […]. Il vous sera dorénavant interdit d’entreposer ou d’utiliser une piscine, un abri ou toutes autres structures sur le terrain de l’immeuble. Le présente avis est effectif immédiatement dès réception.»
En parlant avec d’autres locataires de l’immeuble, Mme Dugas croit que la propriétaire cherche à les monter contre elle. «Elle leur a dit que c’est ma faute, s’ils n’ont plus accès au terrain», se désole-t-elle. Quoi qu’il en soit, Mme Dugas ne compte pas s’empêcher de sortir une chaise à l’extérieur pour surveiller ses enfants quand ils s’amusent dehors.
Le Tribunal administratif du logement entendra la cause le 18 juin.