Démissions en bloc dans un camp de jour de Longueuil
Le 31 juillet, cinq employés du camp de jour Labrosse de la Ville de Longueuil ont dû s’absenter pour passer un test de dépistage de la COVID-19. Sans remplaçant, les trois employés sur place se sont retrouvés à gérer l’ensemble du camp à eux seuls; une situation de «négligence», selon les employés interrogés. Se sentant «abandonnés» et «peu écoutés» par GVL, gestionnaire du camp de jour municipal, sept employés ont remis leur démission. À LIRE AUSSI: Une journée «sans problèmes majeurs», selon le directeur Denis Vincent Ce mercredi, aucun des employés démissionnaires – qui espéraient accomplir leur «dernière journée» – n’ont pu travailler au camp de jour, situé au centre culturel Labrosse, dans l’arr. de Saint-Hubert. Le gestionnaire du camp mandaté par la Ville, Gestion Vincent & Limoges (GVL) [plus particulièrement la division Camps AES], tentait de trouver des remplaçants pour s’occuper des jeunes sur place, moins de trois semaines avant la fin du camp. Cinq employés, qui ont demandé l’anonymat, ont témoigné au Courrier du Sud. Cinq tests… négatifs Le matin du 31 juillet, cinq employés qui avaient des symptômes d’allure grippale n’ont pu aller travailler, car ils se sont fait dépister pour la COVID-19. Ils avaient avisé leur employeur la veille. «J’avais mal à la gorge, mal à la tête et de la diarrhée», raconte l’une des personnes qui s’est confiée au journal. Un des employés rappelle qu’ils étaient dans l’obligation de se faire tester au moindre symptôme lié à la COVID. Heureusement, les cinq tests se sont révélés négatifs. «Sécurité en jeu» Au camp de jour, c’est toutefois énormément de stress et d’insécurité qu’ont vécu les employés, qui se sont retrouvés avec cinq collègues en moins. Ils étaient trois, avec une trentaine de jeunes sous leur responsabilité. Selon les employés, les ratios animateur-enfants n’étaient plus respectés en tout temps (les ratios varient selon les groupes d’âge, d’un animateur pour huit enfants à un animateur pour quinze enfants). Des enfants avec des besoins particuliers se sont retrouvés sans accompagnateur, des accompagnateurs se sont improvisés animateurs. Il n’y avait qu’un accompagnateur pour cinq jeunes qui avaient besoin de ce service. Des animateurs se sont retrouvés à gérer seul leur groupe de plus de dix enfants, en plus d’enfants qui devaient être accompagnés. Parmi ces jeunes à besoins particuliers, l’un était reconnu pour fuguer, d’autres, pour des comportements violents. Des interventions directes auprès de ces jeunes auraient impliqué de délaisser le groupe minimalement pour quelques instants. «J’étais très anxieux. C’était très stressant pour moi, j’imaginais le pire», raconte l’un des employés. Certains disent s’être retrouvés à faire des tâches pour lesquelles ils n’étaient pas formés. De plus, «il n’y avait personne pour s’assurer qu’un adulte qui n’était pas autorisé entre à l’intérieur, soulève l’une des personnes qui étaient sur place. Il y a eu beaucoup de négligence.» «Aucun soutien» Les employés ont rapidement avisé les coordonnatrices en animation de la situation, espérant du renfort. Au cours de la journée, ils n’ont obtenu aucune réponse. «Elles ont vu notre message, mais n’ont pas répondu», relate l’un d’eux. Plusieurs ont déploré l’absence d’ouverture et d’écoute de leurs supérieurs. «Aucun coordonnateur ne s’est déplacé ou n’a fait de suivi avec nous durant la journée.» On leur a plus tard justifié qu’on ne voulait pas risquer de contaminer des remplaçants (réservistes) qui travaillent à d’autres camps. De l’avis des employés, la «sage décision» aurait été de fermer le camp cette journée-là. «Je crois que les parents auraient été réceptifs.» «On nous a dit que c’était un cas exceptionnel, mais ça ne devrait juste pas arriver dans un camp de jour», juge l’un d’eux. De plus, les employés n’avaient pas le droit d’aviser les parents que cinq employés se faisaient tester pour la COVID. «On a trouvé ça vraiment ridicule», exprime l’une de ces personnes. Plusieurs ont dénoncé ce «manque de transparence». Une lettre mal reçue Le lendemain de cette journée, une employée, appuyée par six collègues, a acheminé une lettre au patron ainsi qu’à la Ville de Longueuil, afin de dénoncer cette situation et d’obtenir des explications, notamment sur l’absence de soutien offert aux trois employés. «Les décisions irresponsables qui nous ont été imposées par la ou les personnes dirigeant les camps auraient pu compromettre la sécurité de mes collègues, la sécurité des enfants ainsi que ma propre sécurité», lit-on notamment dans la lettre dont le journal a obtenu copie. «Qui aurait été blâmé s’il était arrivé quelque chose de grave à l’enfant que j’accompagne habituellement parce qu’on m’a demandé d’animer au lieu de l’accompagner?» questionne-t-on aussi dans la lettre. La personne signataire y évoque également une perte de confiance à l’égard de son employeur. Ceux qui ont apposé leur nom au bas de la lettre l’ont fait dans l’espoir d’un changement. «On espérait une discussion avec eux. Il y a des choses à améliorer en matière de sécurité. On ne veut pas que ça se reproduise.» La principale signataire de la lettre s’est vu remettre un avis disciplinaire par écrit. On lui aurait reproché, en envoyant cette lettre au patron et à la Ville de Longueuil, de ne «pas respecter la hiérarchie». Ultimatum? À la vue de ce vent de contestation qui se mettait en marche, les employés auraient reçu un ultimatum. «Hier [mardi], on s’est fait dire que l’on avait jusqu’à midi pour dire si on quittait ou non», a-t-on rapporté au journal. Dans un geste de solidarité, sept employés ont successivement remis leur démission au cours de la journée du 4 août. «On a fait part de notre mécontentement aux coordonnatrices et au patron, et c’est revenu contre nous», dit l’une des démissionnaires. «J’ai démissionné car ça allait à l’encontre de mes valeurs, ajoute une autre personne. Quand on est rendu à donner des représailles à un employé qui a fait une plainte pour un geste malhonnête… La sécurité de tout le monde était en jeu [le 31 juillet].» Par sa démission, une employée dénonce aussi certaines «conditions» et «la façon dont on nous traite». «On n’a jamais été écoutés, on nous traite comme des pions. On a tenté à plusieurs reprises d’être ouverts avec eux.» Sans remettre en question sa décision, une employée a admis être «triste pour les enfants, pour les parents». Situation «regrettable» Le directeur de Gestion Vincent & Limoges (GVL) Denis Vincent qualifie la situation survenue au camp Labrosse de «regrettable». «Nous comprenons que certains animateurs trouvent difficiles les ajustements et les tâches supplémentaires reliées aux mesures sanitaires causées par la gestion de la crise», a indiqué M. Vincent au journal. Il admet que la pandémie a demandé des ajustements dans les façons de faire. «Nous respectons leur décision et avons remplacé dès ce matin [mercredi] l’équipe d’animation au complet», a-t-il ajouté. Sur ses 45 sites d’animations, aucun cas de COVID n’a été déclaré à ce jour, confirme-t-il aussi. «Aucun animateur ou enfant n’a été en danger cet été. En aucun cas, les services aux citoyens n’ont été interrompus.» Il rappelle que la mission de l’entreprise, qui gère des camps de jour à Longueuil depuis une vingtaine d’années, demeure d’animer les enfants de «façon sécuritaire et divertissante». Les Camps AES comptent plus de 600 animateurs dans une vingtaine de villes au Québec. Des «obligations honorées» et des suivis, dit la Ville Appelée à réagir, la Ville de Longueuil a affirmé s’être assurée, «dès qu’elle a été informée de la situation», que le fournisseur était toujours en mesure d’offrir les services du camp de jour. Selon la Ville, le fournisseur dit «avoir suffisamment de personnel en place pour maintenir les services. «Les Camps AES ont confirmé à la Ville que les ratios en place ont été respectés le vendredi 31 juillet au centre culturel Labrosse et qu’ils honorent leurs obligations en matière de santé et sécurité», a-t-on répondu au journal. L’administration municipale rappelle que les Camps AES, division de GVL, sont entièrement responsables de la gestion des ressources humaines du camp. Questionnée à savoir si le camp n’aurait pas plutôt dû être fermé le 31 juillet, en l’absence de cinq employés, la Ville rappelle la responsabilité d’AES à l’égard du respect des directives de santé publique. «Selon nos informations, la fermeture des camps n’était pas nécessaire.» Bien que la gestion des camps reviennent entièrement au fournisseur, des équipes de la Ville assurent des visites périodiques dans l’ensemble des camps sur le territoire, afin que les règles, dont celle des ratios, soient respectées. «Dans l’éventualité où une situation non conforme est constatée ou lui est rapportée, la Ville veille à ce que le fournisseur rétablisse la situation dans les meilleurs délais, indique-t-on. Dans le cas présent, la Ville prend acte des éléments qui lui sont rapportés aujourd’hui [mercredi] et fera les suivis nécessaires pour s’assurer qu’il n’y ait pas de bris de service.»