Densité et transport : encore faut-il que l’un s’arrime avec l’autre
On prend le boul. Taschereau. On y met en place un transport en commun rapide et fréquent. On construit en hauteur tout autour. Les gens qui habitent ces constructions utilisent le transport en commun. Simple, non? En réalité, ce n’est jamais aussi simple.
L’idée d’arrimer le transport et l’habitation sur un corridor de transport est cependant intéressante, assure Florence Paulhiac, professeure en urbanisme et experte en transport. Elle voit ainsi d’un bon d’œil d’aller plus loin que les seuls TOD dans le prochain Plan métropolitain d’aménagement et de développement.
Mme Paulhiac note qu’il s’agit d’une idée éprouvée, que l’on voit en Europe depuis déjà plusieurs années. Elle donne notamment l’exemple de Grenoble, «très innovant» dans sa façon de faire lors de la planification d’une nouvelle ligne de tramway vers 2008 et après.
«On a fait ce qu'on a appelé un contrat d'axe, c'est-à-dire que les acteurs du transport, de l'urbanisme et les municipalités qui étaient traversées se sont mis autour de table et ont passé une sorte de contrat formel pour faire de l'urbanisme et des transports collectifs de manière coordonnée dans le temps et dans l'espace», explique-t-elle.
«On en voit plein des expériences comme ça. C'est plutôt quelque chose qui est considéré comme une bonne pratique», renchérit la professeure, qui précise que la notion de corridor de mobilité durable n’est pas nouvelle au Québec. Qu’on en parle depuis plusieurs années chez les différentes instances et que cette notion arrive aujourd’hui à maturité.
Le boul. Taschereau est un des lieux ciblés pour ajouter du logement en hauteur de chaque côté de la voie. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ Michel Hersir)
Comprendre les usagers
Il faut cependant faire attention. La mise en place de tels corridors ou de développement de type TOD autour d’une station de transport ne garantit pas un changement d’habitude des usagers, juste parce que l’habitation et le transport sont un à côté de l’autre.
«Même si on construisait un grand immeuble au-dessus d’une station de métro, c’est sûr que ça peut inciter à prendre le transport, mais c’est pas du tout sûr que les gens le fassent, parce que les gens se déplacent à plein d’endroits. Dans les ménages de 2 personnes, il y en a peut-être une qui va bénéficier de cet accès, mais l’autre a besoin d’aller ailleurs où le transport en commun ne va pas. Alors ça, c’est très compliqué», note Mme Paulhiac.
Celle-ci croit que les projets bien conçus se concentrent beaucoup sur la qualité de l’espace public, soit l’espace public en soi, les trottoirs, rues et parc.
«Ç’a l’air très banal ce que je dis, mais ça fait partie de la solution de mobilité du projet. C’est pas juste de dire : j’ai fait une piste cyclable, j’ai mis une ligne de bus, donc ça va. Ouais, mais est-ce que c’est sécuritaire? Est-ce que c'est accessible à tous? C'est vraiment un travail minutieux, qui appelle au design, à la qualité des revêtements, de bien comprendre les besoins des usagers», poursuit-elle.
«Quand on discute avec des professionnels et avec certains promoteurs immobiliers, c'est quelque chose qui est de plus en plus très bien compris.»
‒Florence Paulhiac, sur l’arrimage entre la mobilité et les projets immobiliers
Réaliser des choix comme réduire la place du stationnement doit être mis en place dans une réflexion plus générale. Mme Paulhiac donne l’exemple du stationnement du complexe sportif Claude-Robillard à Montréal, qui est devenu payant 24h sur 24 du jour au lendemain.
«Ils disaient : c’est à côté d’une station de métro. Mais j’ai toujours été frappé par la médiocrité du cheminement piéton, la nuit, l’hiver, sur certains points de dangerosité. Et puis tu vas faire du sport, avec les enfants, les équipements. Donc, tu ne peux pas juste dire : c’est à côté d’une station de métro. Ça n’a pas de sens. Ce n’est pas vrai que c’est facile», soutient-elle.
«Oui, on peut faire payer, ce n’est pas la question, mais à ce moment-là, il faut que ton aménagement facilite le changement de comportement, puis ça, c’est vraiment un travail de conception», ajoute la professeure.
Un autre gage de succès : s’assurer de coordonner le tout dans le temps.
«C'est arrivé dans la région de Montréal qu'on commence à construire des développements résidentiels un petit peu avant que la solution de transport collectif soit achevée. Les gens vivent là, puis le transport n'y est pas encore, mais il faut qu'ils se déplacent. Donc ils vont se doter d'une voiture. À partir du moment où ils ont une voiture, ils vont la garder et l'utiliser. Ça, ça va être un défi aussi sur de grands corridors», soutient Mme Paulhiac.
Pourquoi pas l’autobus
En octobre, le directeur général de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) Benoit Gendron évoquait l’éventuelle mise en place d’un réseau d’autobus structurant dans le grand Montréal. Une idée qui plaît beaucoup à Florence Paulhiac.
«Je suis de celles qui pensent qu’on ne mise pas assez sur le bus. Ça peut être hyper performant quand c’est bien fait. […] Si tu prends ce qu’on appelle des bus à haut niveau de service, qui ressemble à des tramways sauf que c’est des bus, c’est beaucoup moins cher et ça peut être au moins aussi efficace. Et donc on pourrait déployer à une beaucoup plus grande échelle ce réseau», estime-t-elle.
Une intégration au bâti existant serait également plus simple. «En plus, c’est beaucoup plus souple. Une fois que tu as un tramway, tu ne peux pas ne faire rouler ailleurs que sur les rails, tandis que le bus, tu peux le dérouter, en enlever, en remettre. Tu peux avoir des bus articulés aux heures de pointe, pas articulés en heures creuses. C’est très différent», ajoute-t-elle.
Montréal a récemment inauguré une nouvelle voie réservée pour les autobus sur le boul. Henri-Bourassa. (Photo : gracieuseté)
Le financement avant la gouvernance
Questionnée à savoir si les acteurs dans la région – notamment l’ARTM, le Réseau de transport de Longueuil, la Société de transport de Montréal, la CPDQ – étaient trop nombreux, Florence Paulhiac a plutôt évoqué un problème plus important, à ses yeux.
«Faut se le dire, le problème c’est plutôt le financement que la gouvernance [...] Le fait qu'on ne puisse pas garantir des investissements massifs sur une durée assez longue. Puis, on entend parler que d’optimisation, de comment faire des coupes», affirme-t-elle.
Et même sur le plan de la gouvernance, elle ne voit pas le nombre d’acteurs comme le principal enjeu. «Je pense surtout que c’est cette dichotomie entre le fait que ce sont les acteurs locaux, au sens large, qui ont leur territoire en main et que ce soit le provincial qui finance. Pour moi, c'est un vrai problème parce que les arbitrages provinciaux sont faits parfois sur d'autres critères que les arbitrages locaux», note la professeure.