Densité : le citoyen davantage convaincu, mais encore hésitant
La densité en aménagement est enseignée dans les écoles d’urbanisme et assumée par le politique. Mais qu’en est-il des citoyens? Le concept est de plus en plus accepté par la population, mais une résistance demeure et les citoyens ont plus de pouvoirs qu’autrefois. L’acceptabilité citoyenne est donc cruciale dans la stratégie des villes pour se densifier.
Pour plusieurs villes de la Rive-Sud, la densification est un concept assez récent.
«Ça ne fait pas 10 ans qu’on en parle. Avant à Varennes, le plus haut bâtiment qu’il y avait, c’était 3 étages […] D’augmenter la densité dans une municipalité ou une région qui n’a pas été habituée à ça, c’est un sacrebleu de défi», souligne Martin Damphousse, maire de Varennes et président de l’Union des municipalités du Québec.
Celui-ci fait notamment référence à une certaine forme de résistance de la population face à ces projets plus imposants. Il estime que les entrepreneurs aujourd’hui doivent avoir ce souci de l’acceptabilité sociale.
«Il y a 15 ans, il n’y avait pas Facebook, les réseaux sociaux, donc le citoyen qui s’opposait n’avait pas de portée. Aujourd’hui, le même citoyen est sur les Spotted villes et il a l’air d’être 10 000, mais il est seul! Et comme il a une grande portée, il peut influencer les élus, les faire revenir sur une décision», soutient-il.
On prend une grande respiration
Le maire de Salaberry-de-Valleyfield, Miguel Lemieux, voit l’acceptation citoyenne comme le principal défi à la mise en place de projets de logements multiples dans sa ville.
«Chaque fois que quelque chose de plus de 2 étages se construit, il y a des protestations. Il y a vraiment un gros défi de faire comprendre que, quand il manque de logement, la solution c’est d’en ajouter», explique-t-il.
Le maire de Salaberry-de-Valleyfield, Miguel Lemieux, souligne qu'il y a des mécontents dès qu'un immeuble de plus de deux étages se construit. (Photo : gracieuseté)
Une réalité que partagent de nombreux élus de la région, entre autres à Delson.
«Chez nous, il y a une résidence de personnes âgées qui va être annoncée incessamment. On parle de 14 étages. Je ne sais pas si vous savez, mais on prend une grande respiration. Oui, il n’y a pas de maison aux alentours, l’acceptabilité sociale devrait y être, mais c’est quand même une haute densité pour une ville comme Delson, qui, il y a 7, 8 ans, on démolissait un bungalow pour faire un cottage ou duplex. Aujourd’hui, on démolit 3 maisons et on fait 52 unités là-dessus», expliquait le maire Christian Ouellette au printemps.
Inquiétudes légitimes
Parmi les inquiétudes souvent évoquées par les citoyens : la capacité des infrastructures de la ville à accueillir tous ces nouveaux logements, les fractures dans le paysage, une circulation plus importante et une réduction des espaces de stationnement.
Des inquiétudes «100% légitimes», croit Laurence Pelletier, qui coordonne l’équipe de projet du prochain Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), un plan qui imposera des cibles de densité encore plus importantes dans le grand Montréal.
Elle assure d’ailleurs que celles-ci ont été prises en compte dans l’élaboration du PMAD.
Et sur certains aspects, Laurence Pelletier voit justement la densité comme une façon de répondre à ces inquiétudes, notamment celui du stationnement. «La densité peut être utilisée pour absorber les coûts comme la construction de stationnement souterrain. Ça dégage souvent de l’espace pour aménager des espaces verts», soutient la conseillère en recherche.
Des exceptions aux cibles de densité ont aussi été intégrées au PMAD, par exemple sur la question des infrastructures.
«L’importance de densifier, c’est quand même compris par une proportion importante de la population.»
– Miguel Lemieux, maire de Salaberry-de-Valleyfield
Eau, aqueduc et électricité
Si les villes de la Rive-Sud sont aujourd’hui plus enclines à la densité, elles sont aussi plus conscientes de l’importance de la capacité de leurs infrastructures.
Plusieurs ont mis en place un système de redevances sur les nouvelles constructions, justement pour financer des projets d’infrastructures.
«On ne s’est jamais cassé la tête avec les égouts, l’eau, l’électricité. Là, aujourd’hui, on fait oh oh oh! Malgré ce que ça nous amène, je ne hais pas toute cette discussion. Ça nous amène à développer des réflexes de faire attention à l’eau, à l’électricité», indique Christian Ouellette.
Celui-ci est également préfet de la MRC de Roussillon, qui a non seulement atteint les cibles de densité établies dans le premier PMAD en 2011, mais les a même dépassées. Si le préfet comprend les impératifs de la densité, il comprend aussi le poids que cela amène sur les infrastructures.
Il évoque l’usine de filtration de Candiac, qui dessert sept villes, et qui est à 95% de capacité à certaines heures de pointe. «Une nouvelle usine de filtration, Candiac a les chiffres, c’est 150 M$. Ça ne se fait pas en criant ciseau», exprime-t-il.
Un grand déficit
Martin Damphousse explique quant à lui que le milieu municipal au Québec a un déficit d’infrastructures de 45 milliards $.
«Le défi est colossal. Les prix ne cessent d’augmenter, mais surtout l’adaptation aux changements climatiques vient bousculer nos priorités. Depuis deux ans, on entend parler que de ça. Les pluies diluviennes, c’est fou comme ça nous a démontré qu’on est plus à risque qu’on pensait. Ajoute à ça les feux de forêt, le verglas, l’érosion des berges, les sécheresses extrêmes», mentionne-t-il.
Le maire de Varennes estime en outre que ce n’est pas «une dépense sexy» pour un élu. «On a tendance à tort de repousser ces dépenses-là. Donc ceux qui planifient mal se retrouvent dans le trouble.»
De là l’importance d’une mesure comme les redevances aux constructions. Une façon, pour lui, que les nouveaux résidents contribuent aux infrastructures existantes.
Pour le reste, il y aura toujours une certaine forme de résistance aux nouveaux projets. «Il n’y aura jamais l’unanimité, c’est impossible», soutient-il.