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Il ouvre son cabinet d'avocat : exercer au-delà de sa différence

le mardi 06 juin 2023
Modifié à 16 h 25 min le 01 juin 2023
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Me Juba Sahrane, à son bureau à Longueuil. (Photo: Le Courrier du Sud – Denis Germain)

Avocat en immigration, Me Juba Sahrane ne se laisse pas freiner par sa différence. Riche de plusieurs expériences sur le marché du travail, l’homme non voyant a ouvert il y a huit mois son propre cabinet à Longueuil. 

Dans ses échanges courriels ou téléphoniques avec ses clients, Me Sahrane ne juge jamais nécessaire de préciser qu’il est non-voyant. Peut-être que certains font quelque peu le saut en le rencontrant à son bureau, mais jamais personne – devant lui, du moins – n’a émis le moindre commentaire à cet égard.

«Ce que je veux mettre de l’avant, ce sont mes compétences professionnelles», soutient-il.

Lorsqu’on lui demande les défis qu’entraîne sa déficience au quotidien ou au travail et si elle a été un frein dans son parcours universitaire constitué d’un baccalauréat et de deux maîtrises, il répond sans hésitation: «Pour être sincère, aucun.»

«Ma déficience visuelle ne m’handicape pas», ajoute-t-il, faisant la distinction entre déficience et handicap. 

Les outils technologiques et logiciels lui permettent d’utiliser cellulaire et ordinateur aisément. «On peut communiquer avec le même langage. Je n’ai aucune difficulté à travailler avec les gens. Ces outils me permettent de vivre. Je peux utiliser mon iPhone grâce à l’application Voice Over qui me permet de l’utiliser de façon auditive», illustre-t-il. 

Au-delà des considérations pratiques, Me Sahrane croit que la personnalité joue un rôle dans cette facilité avec laquelle il s’accomplit. «Si on se met dans une posture où on donne l’impression d’être une victime, d’avoir toujours besoin d’assistance, bien les gens auront tendance à nous prendre comme des personnes assistées, des victimes», estime-t-il.

«Je n’ai jamais, sauf une fois ou deux, été victime de discrimination. Je pense projeter l’image de quelqu’un qui est confiant, qui sait où il va, un leader.»

-Me Juba Sahrane

L’avenir entre ses mains

Arrivé de l’Algérie en 2007 à l’âge de 14 ans, Juba Sahrane connait bien les enjeux, difficultés et inquiétudes des familles qui immigrent. 

«Se retrouver dans un nouveau pays, une nouvelle culture, du jour au lendemain, ce n’est pas évident», reconnait-il, identifiant là l’une des raisons qui l’ont poussé à ouvrir un cabinet de droit en immigration.

S’il dit avoir eu la chance d’être bien intégré, la réalité a été différente pour ses parents. «Mon père était vétérinaire. On lui a dit qu’il devait refaire tout le cursus universitaire. À 52 ans, avec quatre enfants, l’option était écartée», relate-t-il.

À la tête de son cabinet, Me Sahrane sent qu’il peut véritablement faire une différence dans la vie des immigrants.

«Les gens qui immigrent ont besoin de recourir à des professionnels soucieux de leur bien-être.  Je dois dire à mon client ce que je pense de son dossier. S’il n’a pas de chance, je veux lui donner l’heure juste, car je sais que je joue avec l’avenir des gens, avance-t-il. Quand je les aide à changer de réalité, ça me procure beaucoup de fierté.» 

Immigration économique

Me Sahrane oriente sa pratique en immigration économique: permis de travail – il a d’ailleurs établi des partenariats avec agences de recrutement international –, permis d’études et, de manière plus sporadique, visas de visiteur. Il soutient aussi les immigrants dans leur demande de résidence permanente. 

S’il peut éventuellement être appelé à plaider, ce n’est pas ce qu’il privilégie.

Donner l’exemple

Juba Sahrane a perdu la vue lorsqu’il était enfant, en 2007. (Photo: Le Courrier du Sud  - Denis Germain)

Résident de Longueuil depuis 2008, il était naturel pour lui d’ouvrir son cabinet dans cette ville, alors que la Montérégie est la deuxième région, après Montréal, à accueillir des immigrants.

«C’est stimulant, vous ne savez pas à quel point!» dit-il.  

Il espère humblement que son parcours puisse être une source d’inspiration. Dans la population québécoise, 16% déclarent avoir un handicap. Au sein de ces gens, le taux de chômage est de 65%.

«Si c’est davantage médiatisé, ça peut montrer à des employeurs que c’est possible, insiste Me Juba Sahrane.. Si une personne avec déficience voit cet article, il peut se dire: Pourquoi pas moi?»

 

Tumeur au cerveau

Juba Sahrane a perdu la vue lorsqu’il était enfant, en 2007, conséquence imprévue d’une opération pour traiter une tumeur au cerveau diagnostiquée tardivement.

La tumeur empêchait le passage du liquide céphalorachidien, ce qui exerçait de la pression sur son nerf optique et son nerf auditif gauche. 

Après un jour et demi sur la table d’opération, ç’a été le choc. 

«Sur le coup, je ne m’étais pas aperçu, je pensais qu’il faisait nuit. C’est après quelque temps que j’ai compris que j’avais perdu la vue, raconte l’homme. J’avais une paralysie du côté gauche de mon corps, et je n’entendais plus d’une oreille, pendant quelques jours. Aujourd’hui, quand je vois comment j’ai récupéré, je suis bien content d’avoir juste perdu la vue.»

Ces ennuis de santé majeurs se sont produits alors que sa famille avait entamé, quelques années plus tôt, des démarches pour immigrer au Canada. L’opération s’est déroulée durant un séjour d’un an en France. Il est ensuite arrivé à Montréal, puis à Longueuil.  

C’est à l’école Jacques-Ouellette à Longueuil, seule école francophone en Amérique du Nord consacrée aux jeunes ayant une déficience visuelle, qu’il a effectué sa réadaptation. Outils informatiques, lecteurs d’écran, écriture braille, se déplacer sans voir; tous des apprentissages incontournables, mais «pas de tout repos».

«Disons que ce n’était pas les trois plus belles années de ma vie», résume-t-il.

 

Parcours 

Après un baccalauréat en droit et une première année au Barreau, Juba Sahrane a vécu un stage de plusieurs mois à l’Organisation internationale du Travail au sein de l’ONU, à Genève. 

«L’expérience m’a tellement plu que je suis revenu pour faire une maitrise en droit international et politique internationale appliquée, à Sherbrooke», explique-t-il.

Il a aussi complété une deuxième maitrise en droit. 

M. Sahrane a travaillé comme consultant au ministère de l’Immigration, puis a cumulé des expériences en droit administratif et en droit corporatif, chez Bombardier entre autres. 
 

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