Les paroles sincères d’Émile Proulx-Cloutier
MUSIQUE. Une œuvre, un texte, un spectacle, c’est un peu pour Émile Proulx-Cloutier une «aire de repos» que l’artiste offre aux gens, un rempart contre le bruit ambiant, les dérapes médiatiques et autres déversements d’opinions qui assaillent l’espace public.
«Quand je fréquente des œuvres, c’est ce que je vais chercher: retourner à une place enfouie qui veut se protéger contre le bruit, mais qui peut se laisser toucher. Oui, par de la beauté, mais aussi par des questions difficiles, des réflexions à long terme.»
C’est ce qu’il offre avec Marée haute, deuxième album sorti en novembre 2017. Des chansons magnifiquement ficelées, voilà sa façon de faire entendre sa voix, plutôt que de «rajouter du bruit par-dessus tout le bruit», dixit Les murs et la mer.
Il refuse d’ailleurs pratiquement toutes les tribunes qu’on lui propose pour exprimer ses pensées, n’ayant pas un «baril d’opinions assez plein pour fournir ce qu’on [lui] demande». «Je suis beaucoup plus à l’aise de prendre la parole à l’intérieur d’un texte que j’ai peaufiné, construit, dans lequel il y a des coups de gueule, des confessions, des envolées poétiques, des constats brutaux. Où tout est bien ficelé ensemble.»
Rien qui accroche
Arriver à ce résultat prend forcément du temps. Du temps pour déceler ce qui cloche, les mots superflus, des jeux de mots auxquels on est attaché mais qu’il faut laisser tomber ou encore une «image jolie mais tellement pas claire» qu’il est préférable d’y renoncer. Un travail d’orfèvre qui doit aussi répondre à un souci de clarté. Alors, quand sait-on qu’une chanson est fin prête, finale?
«Ça va paraître simpliste, mais à partir du moment où le texte roule en bouche, où rien n’accroche et qu’il y a une sensation de plaisir, de vérité à chaque phrase, réfléchit-il. La chanson est appelée à être montrée au public et je devrai passer dans ce sentier régulièrement. Je ne peux pas me permettre des imprécisions ou du remplissage.»
Territoire musical
Des textes denses, donc, mais qui laissent aussi place à la musique. Davantage même que sur Aimer les monstres, remarque l’auteur-compositeur-interprète.
«Des envolées qui sont là seulement pour le pur plaisir de susciter des images avec la musique, je m’en permettais moins avant. Je me suis donné plus d’air. Je voulais que Guido Del Fabbro, qui fait les arrangements, puisse s’éclater, qu’il ait du territoire pour que la musique parle.»
Del Fabbro récolte d’ailleurs une nomination à l’ADISQ 2018. Marée haute est également en lice pour le meilleur album – adulte contemporain.
Sur ce deuxième opus, Émile Proulx-Cloutier se révèle davantage, livrant des passages personnels. Les récits et personnages (Joey la nuit, Derniers mots) demeureront toutefois une façon pour lui de raconter le monde. «Raconter une histoire, ce n’est pas une cachette. Dans Retrouvailles, ce n’est pas un événement qui m’est arrivé, mais il y a un paquet de réflexions qui m’appartiennent.»
Maman, «l’autre côté de la tragédie»
Traitant de la réalité des autochtones, la chanson Maman d’Émile Proulx-Cloutier, une adaptation de Mommy Daddy écrite en 1974 par Marc Gélinas et Gilles Richer, se veut une façon de raconter de l’intérieur ce que signifie que d’assister à la disparition d’une langue.
C’est au contact du film L’amendement de son ami Kevin Papatie que les échos de la chanson interprétée par Pauline Julien lui sont revenus en tête. Le film montre comment la langue des anciens des Algonquins se perd tranquillement à travers les quatre générations d’une même famille, alors que l’arrière-grand-mère et la petite-fille ne parviennent plus à se comprendre.
«Mommy, c’est: "Voici ce qui va arriver si on ne fait rien". Et devant moi, j’avais "Voici ce qui est arrivé puisque nous n’avons rien fait". On était de l’autre côté de la tragédie. C’est le même récit qui s’incarne pour vrai.»
«Cette mélodie a tellement une charge profonde pour plusieurs générations de Québécois, poursuit-il. Peut-être qu’en réécrivant ce texte, c’est une façon émotive et directe de comprendre ce qui se passe dans les communautés autochtones.»
Si certains – le chroniqueur Mathieu Bock-Coté, pour ne pas le nommer – y ont vu une autoflagellation du peuple québécois en référence aux pensionnats autochtones, Émile Proulx Cloutier se défend de vouloir «expier le péché» avec cette adaptation. Maman répond plutôt à un désir de «considérer cet angle mort de l’histoire qu’on a longtemps refusé de regarder». Et son adaptation ne fait pas de l’œuvre originale une chanson désuète.
«Moi aussi, ma langue est parlée par 6 ou 7 millions de personnes dans un océan de 350 millions d’anglophones. Moi aussi, j’ai envie que ma langue vive. C’est pour ça que je m’emploie tous les jours à la rendre la plus vivante possible.»
«Mon travail – et celui de tout ceux connaissant le français – c’est de le parler, de le transmettre, de nourrir le vocabulaire des enfants. De se rappeler à quel point notre langue est riche, vaste et pertinente pour nommer le monde et se nommer nous-mêmes.»
Émile Proulx-Cloutier sera au Théâtre de la Ville les 27 et 28 septembre.