Culture

Lifemaker FX: Ici prennent vie zombies, cadavres et autres créatures

le mardi 30 octobre 2018
Modifié à 6 h 22 min le 30 octobre 2018
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

CINÉMA. Entre un pendu chauve au regard livide, des têtes ensanglantées et un amas de zombies jonchant le sol, Érik Gosselin est assis à une table haute, les yeux rivés sur un corps de bébé prématuré éclairé à la lampe de travail. Avec minutie, il le tamponne de petits coups de pinceau. La scène aurait de quoi étonner. Pourtant, rien ne semble plus naturel pour le directeur de Lifemaker FX que de baigner dans cet univers quelque peu glauque, dans son atelier isolé au beau milieu de la zone aéroportuaire de Longueuil. C’est entre ces murs que sont nés les zombies du film de Robin Aubert Les Affamés, maintes fois récompensé, notamment par l’Iris du meilleur film. Le travail de Gosselin et son équipe multiplie aussi les honneurs. «Pier-Luc Funk, que j’ai rencontré sur un plateau de tournage, me demandait ce que j’avais fait de si extraordinaire pour avoir récolté autant de prix. (Il sort son cellulaire.) Check tous les faux corps, les têtes explosées et les make-ups qu’on ne voit pas tous dans le film…», raconte-t-il. Avant les six semaines de tournage, deux mois et demi de préparation ont été nécessaires. «Quand j’ai rencontré Robin, il m’a dit qu’il ne voulait pas des zombies comme dans Walking Dead, des squelettes avec la peau pendante. J’ai sortie des photos, des croquis, différents exemples. Je voulais plus y aller avec l’idée de maladie… Une grippe, mais sur les stéroïdes! On a fait d’autres croquis jusqu’à ce qu’on arrive à un zombie accepté.» Après les tests en atelier, restait à concevoir les sculptures de prothèse, les prothèses, l’achat de peinture, etc. Le nombre de zombies à faire naître sur le plateau demeurait un défi. Érik Gosselin maquillait les acteurs principaux, puis donnait des directives et des petits cours aux six autres maquilleurs. «Je suis un peu control freak là-dessus; je ne suis pas un patron qui ne fait qu’embaucher des maquilleurs. Mais quand il y a 30 zombies, je ne peux pas tout faire.» Question de budget En 26 ans de carrière, Érik Gosselin cumule un portfolio pour le moins intéressant: X-Men: Apocalypse, Riddick, Secret Window, Whiteout, Riders, Gothika… entre autres. Son travail rayonne aussi dans des productions québécoises comme À l’origine d’un cri, Saint-Martyr-des-Damnés, 5150 rue des Ormes, Mommy, Le marais… Entre les plateaux hollywoodiens et les tournages québécois, il identifie une distinction majeure: le budget. Un budget limité entraîne certaines contraintes. «On n’a pas le droit à l’erreur et on ne peut pas se backer avec un maquilleur ou des prothèses supplémentaires. Pour Secret Window, Death Race ou les deux X-Men, il y avait quatre maquilleurs, au cas où. S’il te faut 11 faux corps, ils aiment mieux en payer 20 et avoir un back-up. C’est une autre dynamique financière.» Ce que le HD a changé En deux décennies et plus de métier, les techniques de maquillage d’Érik Gosselin se sont forcément peaufinées. Néanmoins, il estime que ses premiers projets étaient très satisfaisants. Cet autodidacte a su rapidement se tailler une place, et durer. Qu’il ait survécu au HD pourrait d’ailleurs être un indice de la qualité de ses œuvres. Car le HD a surtout permis d’éliminer les amateurs, ceux qui s’improvisent maquilleurs FX. «Toute la peinture est faite au <@Ri>airbrush<@$p>. Les sourcils et les cils sont faits un par un, explique-t-il, sculpture de bébé prématuré en main. Sur ce bébé, cette peinture aurait été inutile il y a 20 ans. Maintenant, il faut faire les veines. Si tu ne le fais pas comme ça, il aura l’air d’une marionnette. Alors des personnes qui peuvent peinturer ou sculpter comme ça, il n’y en a pas beaucoup.» Imiter la réalité Le souci de réalisme habite chaque projet. Érik Gosselin peut se référer à l’un de ses nombreux livres, que ce soit une encyclopédie médicale pour trouver un effet recherché dans un symptôme de maladie de peau, un ouvrage illustrant de vraies scènes de crimes ou encore une référence pour savoir à quoi ressemblaient les ravages d’une bombe de la Première Guerre mondiale. Un réalisme essentiel qui, ironiquement, n’est pas toujours entièrement fidèle à la réalité. «Je n’ai jamais fait un trou de balle vraiment réaliste. Ça serait de la grosseur d’une tête d’épingle. Ce qu’un Magnum 44 peut faire, c’est de la grosseur d’un pois», illustre-t-il. Rien à voir, donc, avec le déluge d’hémoglobine que donne généralement à voir le septième art. Le défi de réalisme est d’autant plus important lorsque le corps ou le visage reproduit est celui d’un acteur. Le corps sectionné de David Bowie – sans jambes – qui figurait dans The Hunger, série de 1983, est d’ailleurs l’une de ses plus grandes fiertés. «On m’en parle encore aujourd’hui. Je ne pense pas avoir fait quelque chose de plus beau depuis, comme faux corps, reconnaît-il. Dans l’émission, Bowie devait parler à son corps. Il était à deux pouces du nez. Je n’avais aucune chance de m’en tirer s’il n’était pas parfait.» Il identifie également le cadavre de Véronique Beaudet dans À l’origine d’un cri comme une autre belle réussite. «C’était pas mal beau.» Lifemaker FX œuvre actuellement sur une dizaine de projets, dont le plateau de tournage de Mathias et Maxime, de Xavier Dolan, sur lequel travaillent Érik Gosselin et sa conjointe Edwina Voda.   Comment devient-on spécialiste d’effets spéciaux ? Érik Gosselin ne se vouait pas à une carrière dans le milieu cinématographique. C’est en sciences pures qu’il a entamé ses études universitaires, dans le but de devenir ingénieur en physique optique. Il a cependant rapidement abandonné, ennuyé à l’idée de «faire de la science entre quatre murs blancs, en sarrau». Dans les longs temps morts de son emploi de garde du corps, il s’est mis à feuilleter des magazines américains sur le cinéma d’horreur, notamment sur la conception d’effets spéciaux. «J’ai découvert qu’il y avait beaucoup de science là-dedans… De la science vraiment cool. C’est devenu mon hobby pendant deux ans, avant que je me trouve un contrat. Je me suis dit: je laisse faire la physique optique, je vais devenir make-up FX.» Ce sont des livres qui lui ont appris les bases du métier: comment mouler un acteur, sculpter des prothèses, en quoi consiste les overflows, les undercuts, etc. «C’était mon YouTube, il y a 30 ans.»   Quelques prix remportés par Érik Gosselin
  •  Trois prix Écrans Canadiens, meilleurs effets spéciaux – Les Affamés et Being Human, 2013 et 2014)
  • Iris 2018, meilleur maquillage (avec Marie-France Guy) - Les Affamés
  • Madrid International Fantastic Films Festival, meilleurs effets spéciaux - Les Affamés
  • Hollywood make-up Artist and Hair Stylist Guild Awards, meilleurs maquillages mini-série - Gleason, 2003