Lorsque le Québec rêvait de modernité… et de bungalows !
Dans le rétroviseur
Une collaboration spéciale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
Par Geneviève Tessier, technicienne en documentation à BAnQ
Parmi les formes architecturales qui évoquent des souvenirs d’enfance, des barbecues en famille ou le vrombissement d’une tondeuse à gazon un dimanche matin, nous déclarons vainqueur le bungalow!
Un style banal, reproduit en série telles les existences de prolétaires sans histoire, pensez-vous? Le fonds d’archives des architectes Normand C. Gagnon et Maurice E. Archambault (1951-1978) permet de comprendre avec plus de nuance l’esprit d’une époque foisonnante autant sur le plan social que sur le plan architectural au Québec.
Bungalow de quatre chambres, vivoir, cuisine, etc. de M. Messier, Normand C. Gagnon, 1961, fonds Gagnon et Archambault, architectes, Archives nationales à Montréal (P198, S1, D51).
Comme on le sait, les années d’après-guerre sont le cadre d’un véritable « boom » au Québec : les naissances sont décuplées et les familles, confinées dans de petits logements souvent insalubres et surpeuplés à Montréal, ont soif d’espace et rêvent de devenir propriétaires. Au même moment, le gouvernement fédéral crée la Société centrale d’hypothèques et de logement (qui deviendra la Société canadienne d’hypothèques et de logement, SCHL) dans le but de rendre accessibles des prêts hypothécaires à des particuliers et à des propriétaires d’entreprises. Entre 1946 et 1974, 58 % des investissements de la SCHL sont dirigés vers le développement de la maison individuelle.
L’imaginaire collectif de la banlieue vient de ce vaste projet instauré par la SCHL : une maison normalisée, économique et fonctionnelle calquée sur le mode de vie à l’américaine. Le paradis de la voiture est né, et il changera durablement les valeurs de la population active. C’est sans doute le début de ce que l’on nommera plus tard l’« étalement urbain », la « société de consommation » et la « culture de masse ».
Manifestement influencé lui aussi par nos voisins du sud, l’architecte Normand C. Gagnon, dont le bureau se situe sur le boulevard Marie-Victorin à Boucherville, est embauché par des promoteurs et constructeurs privés. Il dessine alors plusieurs plans de maisons d’une facture esthétique moderne, avec des détails de conception attrayants – une plus-value par rapport aux modèles standards offerts dans les catalogues de la SCHL. L’influence des grands architectes états-uniens, notamment Frank Lloyd Wright, est bien visible : un seul niveau, un accent mis sur l’horizontalité, de larges baies vitrées, un toit à faible pente, un garage ou un abri d’auto (le fameux carport), sans oublier l’utilisation de matériaux nobles, tels que le bois, la pierre et la brique. Ces maisons au style épuré, voire intemporel, forment aujourd’hui des quartiers entiers de Boucherville.
La firme d’architectes Gagnon et Archambault ne s’est pas limitée aux résidences privées, loin de là : nous sommes entourés d’édifices publics et commerciaux nés sur ses planches à dessin. En plus de l’hôtel de ville, du « centre civique » (devenu le complexe aquatique Laurie-Ève-Cormier) et de la marina de Boucherville, on compte parmi ses réalisations des dizaines d’écoles primaires et secondaires partout au Québec, des résidences pour personnes âgées, des centres commerciaux… et un projet majeur : la Place Dupuis à Montréal, symbole d’un Québec qui laisse de côté la modestie pour entrer dans une modernité qui voit grand.
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Hôtel de ville de Boucherville, Gagnon, Archambault et Léopold Langevin, architecte associé, [1964], fonds Gagnon et Archambault, architectes, Archives nationales à Montréal (P198,1983-11-080_410).
Marina de Boucherville, Gagnon et Archambault, [1966], fonds Gagnon et Archambault, architectes, Archives nationales à Montréal (P198,1983-11-080_410).