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Piste cyclable sur Saint-Georges : un dépanneur à bout de souffle

Il y a 22 heures
Modifié à 16 h 08 min le 02 décembre 2024
Par Michel Hersir

mhersir@gravitemedia.com

Le dépanneur Ensoleillé est l’un des deux seuls dépanneurs de ce secteur de Le Moyne. Il a dû asphalter sa façade avant afin d'ajouter une place de stationnement sur son terrain. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ Denis Germain)

La famille Ro est au désarroi depuis la fin de l’été. Propriétaires du dépanneur Ensoleillé, dans le secteur de Le Moyne à Longueuil, ils ont vu leur chiffre d’affaires baisser de plus de la moitié en quelques mois. Une situation qu’ils attribuent directement à la nouvelle piste cyclable mise en place sur la rue Saint-Georges et qui interdit dorénavant le stationnement de rue des deux côtés de l’artère.

Le dépanneur Ensoleillé appartient aux Ro depuis 16 ans, un couple d’origine coréenne dans la soixantaine. «On est venu [de la Corée] en 1997, ça fait 27 ans. Mes parents ont toujours eu des dépanneurs ici», explique la fille du couple, qui préfère taire son nom.

Celle-ci explique comment l’introduction de la piste cyclable devant le commerce a affecté ses parents.

«Au début, ils avaient une perte de revenu de 500$ par jour. Ce n’est pas rien, c’est 3500$ pour une semaine! Récemment, mon père m’a dit : il est censé vendre entre 2000$ et 2300$ par jour, et à la fin d’une journée, il avait fait 1000$ environ», déplore-t-elle.

Des 180 à 200 clients par jour qui fréquentaient le dépanneur, ils sont maintenant environ 100 à 130.    

Les fournisseurs de l’établissement ont de plus menacé d’arrêter de livrer dès la première contravention. Il y a certes un stationnement derrière le bâtiment, mais il n’est accessible que par une allée entre le commerce et la propriété voisine, trop étroite pour que les camions de livraison puissent s’arrêter.

«C’est difficile. C’est beaucoup de stress pour eux», exprime Mme Ro.

En mode solutions

Toutefois, pas question de rester les bras croisés. Avec l’aide d’une citoyenne du quartier, Danielle Fillion, elles ont écrit à la Ville pour faire part de leur situation. Mme Fillion s’est également présentée à deux reprises aux séances du conseil d’arrondissement du Vieux-Longueuil et une fois à celle du conseil de ville. Une pétition signée par plus de 500 personnes a été remise à la dernière séance.

Leurs revendications ont d’ailleurs déjà porté fruit, alors que la Ville a rétabli le stationnement sur rue pendant 10 minutes devant le dépanneur, «une exception, en raison de l’absence d’alternative de stationnement à une distance de marche raisonnable pour ce commerce de quartier», explique la Ville.

De plus, les Ro ont obtenu un permis pour créer une place de stationnement sur le terrain devant leur commerce et le trottoir a été abaissé en novembre.

 

Les Ro sont propriétaires du dépanneur depuis 16 ans. (Photo: Le Courrier du Sud ‒ Michel Hersir)

 

Des travaux qui ont cependant coûté plusieurs milliers de dollars, aux frais des propriétaires.

La famille souhaiterait de plus obtenir une signalisation sur rue qui permettrait le stationnement pendant 30 minutes pour les fournisseurs : «c’est le temps que ça prend pour certaines livraisons», affirment-ils.

«Ça serait le fun qu’ils nous dédommagent», ajoute la fille du couple.

 

Nouveau lien cyclable

La mise en place de la piste sur ce tronçon est en quelque sorte une deuxième phase du réseau cyclable sur la rue Saint-Georges/chemin Tiffin.

Un premier tronçon fortement réclamé dans la communauté a été mis en place à l’été 2023. On y retrouvait cependant déjà une piste bidirectionnelle d’un côté de la rue, remplacée par des pistes unidirectionnelles de chaque côté.

Sur le deuxième tronçon, on retrouvait également la piste bidirectionnelle, mais elle s’arrêtait à la rue Jean-Bariteau. Devant le dépanneur Ensoleillé, il n’y avait aucune piste cyclable et le stationnement était permis des deux côtés de la rue.

Pourquoi ne pas avoir prolongé la bidirectionnelle? Parce qu’elles sont moins sécuritaires, explique Louis Lalonde, porte-parole chez Vélo Québec.

Une auto qui sort d’une entrée charretière doit regarder des deux côtés, pas juste dans le sens automobile, ce qui crée de plus grands risques de collision. Le sentiment de sécurité est également moins fort pour les cyclistes qui doivent circuler à sens inverse, près de la voie de circulation.

 

Un dépanneur à Le Moyne

Danielle Fillion se dit très empathique de la situation de la famille Ro. Citoyenne engagée de Le Moyne – elle avait notamment fait des pressions en 2021 afin de sécuriser une intersection dans le quartier – elle soutient activement la famille dans ses revendications et estime fondamentale la survie de ce commerce dans le quartier.

Ayant grandi dans le secteur, la citoyenne déplore la faible offre commerciale des environs et évoque le rapport de l’Office de participation publique de Longueuil (OPPL), qui fait état d’un manque de commerces et de services à Le Moyne.

Le dépanneur 7 jours, à quelques coins de rue, a d’ailleurs fermé ses portes cet automne.

«C’est une question de survie pour ce commerce. On n’est pas contre les pistes cyclables», assure-t-elle, ajoutant qu’elle se dit solidaire envers les citoyens du côté Saint-Lambert de la rue, qui eux aussi ont décrié la nouvelle infrastructure.

Réseau cyclable

En réponse à l’une de ses questions à la séance publique du 12 novembre, l’élu Jonathan Tabarah a assuré que la Ville a été proactive dans ce dossier.

«Le jour même où on a reçu la requête, on a commencé des démarches pour les aider. Les équipes ont tout fait pour qu’on soit capable de reconstruire le trottoir dans un temps record. Normalement ces requêtes-là allaient au printemps, on a trouvé un fournisseur à qui il restait une place. On ne fait jamais ce type de faveur, à moins d’urgence», a-t-il mentionné.

Il a également noté la même urgence dans l’ajout d’un stationnement privé sur le terrain.

La Ville voit quant à elle ces adaptations comme des compromis au projet, mais ne remet d’aucune façon en doute la pertinence du nouveau lien cyclable.

«Cette nouvelle piste représente un axe de transit naturel permettant de circuler depuis le secteur du métro jusqu’à LeMoyne, Greenfield Park et Saint-Hubert, tout en desservant le secteur des collèges sur Tiffin», affirme-t-elle, ajoutant que le «tronçon est permanent et sera également accessible l’hiver».

Un prolongement entre la rue Saint-Louis et le boul. Taschereau est d’ailleurs dans les plans de la Ville.

«Notre culture de la mobilité est en train de changer. Le vélo, il y a 25 ans, c’était assez marginal pour se rendre au travail ou faire ses courses. C’est sûr que ça brusque un peu, mais c’est un processus, et à la fin, ça va mener à une meilleure mobilité pour un plus grand nombre de personnes.»

‒Louis Lalonde, porte-parole chez Vélo Québec

Vélos et commerces

Porte-parole chez Vélo Québec, Louis Lalonde souligne qu’il existe de plus en plus de littératures sur l’effet de nouvelles pistes cyclables sur les commerces.

«Ce qu’on remarque souvent, c’est que ç’a soit aucun impact ou un impact positif. Il se peut que de façon très précise, ça influence, mais cela étant, la mobilité active, on a tendance à l’invisibiliser quand on pense aux commerces. Que je puisse me rendre à pied ou à vélo, ç’a une valeur», soutient-il.

M. Lalonde croit qu’il faut donner le temps à la population d’adapter ses habitudes.

«Dans l’immédiat, c’est peut-être moins intégré aux habitudes. La mobilité, c’est culturel aussi, l’attachement à certaines habitudes de déplacement, certains modes, c’est ancré en nous. Ça prend un certain temps, on ne peut pas dire : on a une piste cyclable demain, tout change!» remarque-t-il.