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Une vision ancrée dans le progrès… et la banlieue

le mardi 26 avril 2022
Modifié à 15 h 08 min le 26 avril 2022
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Le texte paru dans l’édition du 27 mars 1947 (Photo: Le Courrier du Sud)

75e anniversaire du Courrier du Sud. À la une de la première édition du Courrier du Sud publiée le jeudi 27 mars 1947, la direction présente dans un article ce nouveau média et la vision qu’il embrasse. Une vision d’abord économique, qui témoigne fortement de la suburbanisation à laquelle on assiste dans les grandes villes après la Deuxième Guerre mondiale, selon l’historien François-Olivier Dorais.

«C’est super intéressant, j’ai l’impression que j’aurais pu passer une journée complète à déconstruire ce texte», lance d’entrée de jeu le professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, à qui le Journal a demandé de se soumettre à cet exercice.

«L’accent est mis sur le commerce, sur l’industrie, par la promotion du progrès… qui est surtout économique et industriel, retient-il. D’ailleurs c’est la devise du journal: «Vers le progrès», ce qui est assez caractéristique de plusieurs journaux.»

Cette affirmation d’un certain régionalisme économique est caractéristique du développement de l’espace périurbain.
«Il y a un engouement pour l’espace suburbain, qui est possible grâce à un développement de l’économie, à l’émergence de la classe moyenne et à la modernisation du réseau routier, à la démocratisation de l’accès à la propriété», décrit M. Dorais. 

François-Olivier Dorais (Photo: Gracieuseté)

Idéal de banlieue

Des éléments auxquels s’ajoute l’imaginaire de la banlieue, qui prône une vie familiale plus stable et confortable «où règne une sorte de culture de la consommation, liée à cette idée de modernité domestique». 

Dans le texte de présentation, le Journal s’engage à consacrer des colonnes, dans lesquelles la femme trouvera «des conseils d’expérience couvrant l’économie domestique, l’art culinaire, des patrons de couture et de broderies, et les femmes et jeunes filles de la région y trouveront les conseils de femmes expérimentées qui se feront un devoir agréable de les aider à résoudre leurs problèmes.»

«C’est lié à l’idéal de banlieue qui fait la promotion d’une modernité domestique, avec les électroménagers, les appareils électriques, la télévision... et le réfrigérateur, qui se démocratise dans les années 50», commente l’historien.
La Rive-Sud s’urbanise rapidement dans les années 40. Plusieurs nouvelles municipalités sont créées, nées de la fusion de villages et paroisses. Beaucoup d’acteurs politiques et économiques réclament alors une extension du réseau routier. 

De plus, le Journal s’engage à faire la part belle aux nouvelles de sports, un mandat important pour les affaires, soulève l’historien.

«L’imprimé profite de l’industrie culturelle qui se développe. Et ce sont les années Maurice Richard, le baseball se développe à Montréal. Le journal profite de cette culture du loisir et mise sur la publicité de ce secteur pour engranger des revues.»

«On pensait que la presse allait être déclassée par la radio et la télé dans années 1950-1960, mais le phénomène inverse s’est produit. C’est heure de gloire des journaux.»

-François-Olivier Dorais, historien

Modèle canadien d’harmonie

Dans sa première édition, la direction insiste sur le rôle de «modèle au Canada» que peut jouer la région, et auquel le journal veut contribuer.

Rappelons également que, dans les premières années, tous les articles sont traduits en anglais.

Cette volonté de cultiver la fraternité est loin d’être isolée. 

Les années 1940 constituent un contexte de réflexions sur la nature du Canada. M. Dorais explique que le Canada cherche des repères identitaires spécifiques et à se détacher de la Grande-Bretagne.

«Le Canada cherche aussi à se donner des repères face aux États-Unis, qui gagnent en influence après la guerre, poursuit-il. Jusqu’où l’influence des États-Unis va-t-elle rejaillir? Il y a une réelle crainte, chez intellectuels notamment, sur la fin de l’aventure canadienne.»

À cela s’ajoute les tensions entre Canadiens français et Canadiens anglais, ravivées entre autres durant la Deuxième Guerre mondiale, avec la crise de la conscription. 

«L’idée de faire du Canada une société harmonieuse et fraternelle, c’est presque lié à une ambition civilisationnelle après la guerre: incarner l’harmonie dans un contexte de conflit, vouloir s’offrir en exemple de réconciliation», conclut l’historien.