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Santé mentale : quand la guérison a une date limite

Il y a 6 heures
Modifié à 10 h 00 min le 07 février 2025
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Selon le CISSS de la Montérégie-Centre, le type d’intervention et la fréquence des soins offerts en CLSC «sont déterminés par un professionnel de l’équipe multidisciplinaire en santé mentale». (Photo : Shutterstock)

Stéphanie* a été agressée sexuellement dans son enfance. Depuis l’âge de 13 ans, elle consulte des professionnels en santé mentale. Des psys, des psychiatres, elle en a vu. Mais c’est grâce à l’approche de la psychologue de son CLSC et de celle d’un psychiatre – qui la suivaient depuis un peu plus d’un an – qu’un «petit quelque chose bouge» chez elle, que «vivre avec ses vagues d’émotions» est peut-être possible. Récemment, la Longueuilloise a perdu l’accès à ces deux spécialistes pour des «raisons administratives». 

«Quand je l’ai appris, c’est comme si on avait lancé un grand coup de marteau dans le tout petit sentiment de sécurité qui avait commencé à se construire à l’intérieur de moi», témoigne la femme, qui préfère ne pas être nommée.

Elle sent que l’équilibre, déjà fragile, s’est brisé, ravivant la détresse psychologique. «Les petits progrès semblent disparaître, et mes symptômes s’aggravent, constate-t-elle. Ce processus d’acceptation est brutalement interrompu.»  

Depuis qu’elle a été violée par un membre de sa famille lorsqu’elle était enfant, sa vie est «gris foncé». Des souvenirs d’enfance heureux, elle n’en a pas. 

Elle compte une «liste infinie de diagnostics» et vit au quotidien une grande souffrance, laquelle s’exprime par des «élans de mort» fréquents. Elle a consulté de nombreux spécialistes, tenté diverses approches, eu recours aux médicaments, le tout sans grands résultats. 

Stéphanie sait donc qu’une psychologue et un psychiatre avec qui le lien de confiance est fort et avec qui s’ouvre un «rare espace de stabilité et de soutien», c’est précieux. 

C’était le cas avec la psychologue de son CLSC à Longueuil.  «Pour la première fois, quelqu’un n’a pas essayé de me réparer. Avec elle, on travaille sur l’acceptation : accepter mes états, mon passé et leurs impacts sur ma vie et celle de mes enfants», expose-t-elle.

Une même impression l’habite à l’égard de la relation avec son psychiatre. «Il ne m’a pas jugée. Il m’a accompagnée dans la maladie. Il m’a dit que j’avais le droit d’exister même si je suis malade, même si je souffre.»

Maximum atteint

Stéphanie s’est tournée vers la première ligne du CLSC quand les services de psychothérapie couverts par son assurance invalidité ont pris fin. En arrêt de travail depuis six ans, elle n’a pas les moyens de recourir au privé. 

En décembre, Stéphanie a atteint le nombre maximal de rencontres avec sa psychologue. Elle l’a vue une dernière fois le 6 janvier, pour un bilan.

Pourtant, sa médecin en santé mentale avait recommandé au CLSC de poursuivre le suivi individuel, mais la décision était irréversible. 

«Dès le départ, ç’a toujours été annoncé que ce n’était pas illimité, mais on ne m’a jamais dit à combien de séances j’avais droit», indique Stéphanie.

Au fil de l’année, ses séances hebdomadaires sont devenues aux deux semaines, avant de prendre fin. «Je déplore que l’évaluation n’ait pas été faite sur mon besoin. Ma psy m’a dit que si elle pouvait, elle continuerait les services.»

Le nombre de séances est limité notamment en raison des «besoins populationnels». (Photo : gracieuseté)

Pratique changée

Stéphanie a déposé une plainte au Commissariat aux plaintes et à la qualité des services du CISSS de la Montérégie-Est. Il a été conclu qu’elle avait été bien avisée que le nombre de séances auquel elle avait droit serait limité.  Dans son rapport, la commissaire indique que la patiente a été informée en début de suivi que le nombre de rencontres serait limité et qu’il serait réévalué à chaque 15 séances, selon sa «progression clinique».

Il est écrit aussi que «dans le but de répondre aux besoins populationnels, le programme de santé mentale peut notamment limiter le nombre de rencontres de suivi de manière à rendre l’accès aux services équitable pour toute la population».

Toutefois, à la suite de sa plainte déposée à la fin novembre, des changements ont été apportés chez le gestionnaire. 
Désormais, ce dernier écrit aux usagers, dès l’ouverture du dossier, «pour les informer du cadre clinique du programme, incluant le nombre de rencontres».

«Honnêtement,  je suis tellement découragée. Je sais que ça ne va rien changer pour moi, je le fais parce que ça va peut-être changer quelque chose pour un autre usager.»

-Stéphanie, à propos de sa sortie publique

Santé mentale vs physique

Selon Stéphanie, il y a un traitement «deux poids, deux mesures» entre la santé mentale et la santé physique.
«C’est comme si j’avais le bras cassé et que l’orthopédiste me disait : il y a beaucoup de gens qui se cassent un bras, donc je vais vous faire un plâtre à moitié!, illustre-t-elle. Mon but n’est pas d’enlever la place à quelqu’un d’autre, mais pourquoi on n’a pas le droit au rétablissement?»

Pour poursuivre son cheminement, il lui a été proposé de participer à des séances de groupe en CLSC. 

«Je vais l’essayer, mais ce n’est pas mon besoin, ni celui déterminé par mon médecin. Ça n’offre pas un cadre assez sécuritaire et tout le soutien dont j’ai besoin, et toute la personnalisation aussi dont j’ai besoin.»

Ses deux filles vivent aussi des enjeux de santé mentale. Stéphanie a besoin d’un accompagnement psychologique pour soutenir ses filles à son tour. 

Enjeu de territoire

Ses rencontres avec un psychiatre ont quant à elles été interrompues parce qu’elle a déménagé. Bien qu’elle soit demeurée à Longueuil, elle a déménagé du territoire du CISSS de la Montérégie-Centre à celui de la Montérégie-Est.

«Quand tu déménages, tu perds accès à ton professionnel de la santé. Si mon médecin ou moi voulons ravoir accès à un psychiatre, on doit repasser par le guichet d’accès en santé mentale, et refaire les procédures, déplore-t-elle. Je devrai encore raconter toute mon histoire, qu’on fasse mon évaluation. C’est un gaspillage de coûts impossible!»

Elle s’étonne aussi qu’un déménagement mette fin à ces consultations, alors que, lorsqu’elle avait changé de ville par le passé, elle avait conservé son gynécologue et son médecin de famille.

De plus, on aurait expliqué à Stephanie qu’il lui est impossible de recevoir des services de deux territoires à la fois. «Ce fonctionnement en silos engorge le système et empêche les usagers d’accéder pleinement aux soins dont ils ont besoin», dénonce la femme.

Explications

Au Courrier du Sud, le CISSS de la Montérégie-Centre explique que le type d’intervention et la fréquence des soins offerts en CLSC «sont déterminés par un professionnel de l’équipe multidisciplinaire en santé mentale après avoir rencontré l’usager pour une évaluation complète de ses besoins».

«Pour favoriser l’accessibilité et répondre aux besoins du plus grand nombre de personnes, certains services du réseau public sont encadrés par des programmes qui peuvent déterminer le nombre de séances offertes ainsi que la durée de la prestation», affirme Joëlle Jetté, agente d'information aux relations avec les médias.

Lorsqu’arrive la fin du programme de psychothérapie de première ligne, l'usager peut être référé, selon ses besoins, à des services d’autres professionnels en santé mentale, tels des travailleurs sociaux et psychoéducateurs, que ce soit en CLSC, en clinique externe ou chez des organismes partenaires. 

«Par ailleurs, lorsque les besoins le nécessitent, les personnes peuvent être dirigées vers un psychiatre ou vers un intervenant détenant une expertise médicale précise», indique Mme Jetté.

Questionnée sur ce qu’il advient lors d’un déménagement, Mme Jetté explique qu’un dossier médical nécessitant le suivi d’un médecin spécialiste peut être transféré dans un autre établissement.  «Ce transfert est coordonné par les équipes médicales des CISSS concernées pour éviter à l’usager de refaire un processus d’évaluation», précise-t-elle.

Contrairement à ce qu’il a été avancé à Stéphanie, Mme Jeté soutient qu’il est possible d’avoir accès en même temps à des services provenant de deux CISSS.

*Nom fictif