Terminal de Porter Airlines et zone d’innovation : des craintes financières
La Coalition Halte-Air Saint-Hubert n’a pas partagé l’enthousiasme du milieu politique et des affaires lors du dévoilement de la zone d’innovation dont Longueuil fait partie. Les difficultés financières que vit le milieu de l’aviation suscite à ses yeux de «gros doutes» sur la viabilité du projet sur a Rive-Sud, d’autant plus que de l’argent public est impliqué.
Rappelons que la zone d’innovation regroupe les pôles Longueuil, Saint-Laurent et Mirabel. Lors de son dévoilement en mai 2024, plusieurs investissements ont été annoncés, assortis d’un soutien financier de 85 M$ de Québec. Le secteur de l’aéroport à Saint-Hubert deviendra un «aérocampus», une sorte de foisonnement entre les écoles et les entreprises en aérospatiale.
«Le cœur de l’annonce, c’est l’arrivée de Boeing, qui investit 240 M$ [dans l’ensemble de la zone d’innovation]. Mais tout le monde ne voit pas son arrivée d’un très bon œil. Bombardier parle de mise en danger de l’écosystème de l’aéronautique à Montréal, expose Julien Keller, de la Coalition. C’est une entreprise qui va mal, qui a perdu 50% de sa valeur sur marché.»
Rappelons que Boeing avait obtenu en novembre un contrat de 5,4 G$ pour la livraison d’aéronefs qui remplaceront les avions de surveillance de l’Aviation royale canadienne.
Sur le plan local, Boeing a aussi annoncé, en collaboration avec Héroux Devtek, injecter 35 M $ pour des travaux de recherche et développement sur les trains d’atterrissage.
La Coalition s’inquiète d’ailleurs du sort d’Héroux Devtek. En juillet dernier, le fabricant basé à Longueuil a été acquis par Platinum Equity, une société de capital-investissement établie aux États-Unis. Une transaction de 1,35 G$.
«Il a été racheté par un fonds américain, sans que le ministre de l’époque, Pierre Fitzgibbon, ne bouge le petit doigt. On a un fleuron racheté par un fonds qui n’a aucune stratégie en aéronautique. La spécialité de Platinum Equity, c’est d’acheter des entreprises qui vont bien, et les revendre en les dépeçant, avance M. Keller. C’est une mauvaise nouvelle pour Longueuil.»
Dans un article de Radio-Canada publié en juillet dernier, François Dauphin, président-directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, expose qu’«un fonds comme celui-là a des intérêts à plus ou moins moyen terme. [Il] a fait 450 acquisitions en une vingtaine d’années, mais son portefeuille est constitué d’environ 50 entreprises. Manifestement, il y a des ventes qui se font au fil des années, il y a un roulement.»
Dans ce même article, le directeur de l'Observatoire international de l'aéronautique et de l'aviation civile de l'UQAM de Mehran Ebrahimi soutenait que c’est une «stratégie de rendement sur l’investissement le plus rapidement possible et de façon maximale» qui motive Platinum Equity. «Si l'intérêt à long terme d'Héroux-Devtek et l’intérêt canadien et québécois dans l’aérospatiale vont à l’encontre de ce fonds d’investissement-là, que pensez-vous que les dirigeants vont prioriser?» questionne-t-il.
Sur le sort d’Héroux Devtek, «nous n’avons aucune crainte», répond Simon-Pierre Diamond, chez MET. Il insiste sur le lancement du «concept unique au monde» d’aéroport-universitaire. «Notre laboratoire nommé le LIA – Living Lab d’innovation aérospatiale est grandement sollicité et nous pouvons être optimistes pour son développement.»
Vente
Dans la foulée de la désignation de la zone d’innovation, Québec avait aussi annoncé son intention de prendre une participation dans l’entreprise H55 Canada, qui aura à Longueuil un centre de production de batteries pour avions hybrides et électriques.
Évoquant les difficultés financières de Lion, la Coalition se demande si les avions électriques capteront autant l’intérêt qu’annoncé «Ce n’est pas clair que ce sera un objet commercial qui réussisse», dit M. Keller, craignant un «fiasco à la Northvolt».
Il dresse un diagnostic semblable concernant le projet de terminal de Porter Airlines. «La survie de cet aéroport n’est absolument pas écrite. En entrevue à l’automne 2023, le patron de Porter Airlines Micheal Deluce a affirmé que sa stratégie était de revendre le terminal. Ça m’a choqué! Est-ce que leur démarche intellectuelle, c’est de faire monter les prix, de vendre à un investisseur le terminal et ensuite que ça s’effondre?»
Sur ce point, le MET ne partage pas les mêmes craintes.
«À titre de compagnie aérienne, il a toujours été entendu que Porter pourrait ne pas conserver indéfiniment une position de propriétaire du terminal, mais cela n’a aucun lien avec sa détermination à continuer d’opérer au MET, signifie Simon-Pierre Diamond.
L’Aéroport Billy Bishop de Toronto avait été initialement développé et exploité par Porter, qui n’en est plus propriétaire, mais continue d’y opérer un horaire de vols.
Deniers publics, argent privé
Ce qui préoccupe la Coalition quant à la viabilité du terminal, c’est aussi l’argent public investi.
«S’il n’y a pas d’argent public, on ne croit pas à ce modèle économique, tranche M. Keller. Car tout le monde économique du transport aéronautique canadien est en dette : Montréal-Trudeau [dette de l’ordre de 2,2 G$], Air Canada a 12,6 G$ de dettes, Air Transat est sans bénéfice depuis 6 ans. Tout s’accumule dans le même sens.»
En matière de sommes injectées dans l’Aéroport et plus globalement dans la zone aéroportuaire, la Coalition nomme notamment les 35 M$ prévus au Plan directeur de la zone d’innovation, de la Ville de Longueuil, pour la mise à niveau des infrastructures.
Il rappelle aussi les sommes injectées, dont une aide de 13 M$ du fédéral, dans les travaux de réfection majeure de la piste principale en 2018, grâce auxquels l’Aéroport peut accueillir de plus gros appareils. Des aides financières de Québec et Longueuil ont aussi été fournies pour la mise sur pied d’un bureau de projet en vue de la construction d’une aérogare. Sans compter les 15M$ allés à la réfection de la route de L’Aéroport.
M. Keller cible le prêt d’un montant maximal de 270 M$ accordé à Porter Airlines par le fédéral, via la Corporation de financement d’urgence d’entreprises du Canada, en 2020.
La Banque de l’infrastructure du Canada a aussi consenti un prêt de 90 M$ pour compléter le montage financier du terminal, en février 2024. «Il s'agit de prêts, mais on ne connait pas les détails de ces prêts, par exemple sur le taux des intérêts», souligne-t-il.
Questionné sur le prêt de 270 M$ annoncé comme étant remboursables sur cinq ans, Simon-Pierre Diamond a répondu que Porter ne souhaite pas divulguer ses données financières, en tant qu’entreprise privée œuvrant dans un contexte compétitif.
Toutefois, «les prêts mentionnés concernaient uniquement les activités aériennes pendant la pandémie et n’ont pas été employés pour le développement du MET. Le terminal est un projet financé de manière indépendante.»
Vers un recours ?
À l’annonce des intentions d’expansion de l’Aéroport en 2021, puis du projet d’aérogare en 2023, la Coalition Halte-Air Saint-Hubert a réclamé un moratoire sur le développement de l’aéroport, ainsi que des études sanitaires et études d’impact environnemental.
Depuis, elle poursuit ses démarches, tant auprès de décideurs politiques – pour envoyer un signal d’alarme sur les craintes que suscite le projet – qu’auprès de l’administration de l’aéroport – pour obtenir plus d’informations.
«Ça n’a pas de sacré de bon sens de se ramasser devant un fait accompli, lance Carole Ricard, à propos de ce projet de terminal attendu à la fin 2025. Oui, on est en train de se poser des questions sur le plan juridique, sauf que c’est préliminaire…»
«Il y a une opposition du quotidien, avec des ressources qui sont juridiques qui n’excluent pas un recours collectif», poursuit Julien Keller, pour décrire le travail de la Coalition.
La Coalition, composée de six membres actifs et comptant près de 800 abonnés sur Facebook et des pétitions qui récoltent des milliers de signatures, souhaite aussi rencontrer des experts de la Direction de Santé publique de la Montérégie, puis faire pression sur l’Agence d’évaluation d’impact du Canada. Selon la Coalition, les études d’impact et matière de bruit et de qualité de l’air sont essentielles.
Carole Ricard a aussi multiplié les demandes d’accès à l’information afin de capter les autorisations que Transports Canada doit accorder dans le cadre de la construction de l’aérogare. «À partir du comment où elle est construite, il y a un délai de six mois pour l’inspection et Transports Can va donner son Ok», soutient-elle.
Le MET confirme que le processus d’inspection de Transports Canada a débuté.
Pour le volet Sécurité, les plans de l’aérogare ont été approuvés et la construction a été autorisée. «La seconde autorisation nécessaire est celle concernant la sûreté dans le terminal pour les embarquements et débarquements des passagers, explique M. Diamond. Une première inspection a déjà eu lieu dans le terminal en chantier et les prochaines étapes s’effectueront tout au long de la construction.»